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Son auteur, Jean-François BEAUCHEMIN, nous offre un roman plein de poésie autour d’une vie paisible, dans la campagne québécoise. Où le sentiment de ne pas être forcément compris par tout le monde fait partie de sa vie, mais à un degré bien moindre de celui que vit son frère schizophrène.

 » Sans la soupe, disait mon père, l’existence humaine serait sinistre. »….Ma mémoire manque généralement de précision, et pourtant je le revois très clairement, après sa première cuillerée, se tourner vers ma mère et s’exclamer :  » Mon Dieu, cette soupe a du génie. Chérie, il y a une heure j’étais accablé, mais me voici bienheureux.  » P 67

Le chat Lennon, le chien Pablo, la voiture Prius, Livia, le petit frère et le narrateur

Tout ce petit monde vit loin des « turbulences de la foule « . Les journées sont ponctuées par le soleil couchant, le passage des oiseaux, le jardin, qu’observent quelques chevreuils cachés derrière le feuillage.

Il y a la schizophrénie du petit frère et l’affection immense qui unit les deux membres de cette famille.

C’est un petit livre sur la douceur comme sur la douleur de vivre

Les chapitres sont très courts, comme si chaque page était une calligraphie à elle toute seule, un équilibre, un dessin, une perfection.

Je dirais que depuis trente ans, pas une de mes journées ne se passe sans que j’écrive au moins quelques lignes. C’est un exercice très salutaire pour quelqu’un comme moi dont l’esprit est sans domicile fixe, et qui refuse d’obéir aux ordres de son propriétaire…

Celui ( l’esprit ) de mon frère est plus émouvant, plus déchirant surtout…

 » Souvent, je m’enferme chez moi à double tour et je me cache sous les draps. Les voix terribles que j’entends dans ma tête, et les visions qui m’apparaissent, continuent pendant des heures  » . P 89. 90

Ni transformation, ni esthétisation de la schizophrénie

Jean-François BEAUCHEMIN, le narrateur-écrivain se laisse lui-même beaucoup de place dans le récit.

C’est en faisant constamment la navette entre les paroles de son frère et ses propres pensées que l’auteur esquisse un territoire commun, très éloigné d’un zoo où seraient parqués les malades psychiatriques.

Encore une demie-heure a passé et mon frère est arrivé sur sa bicyclette. Sans un mot, il est allé chercher une autre chaise dans la cuisine et est revenu s’asseoir à mes côtés.

C’était un de ces jours où il n’a ni besoin ni de parler, ni de manger, ni de boire ou de dormir. Ma présence semblait lui suffire. Alors je n’ai rien dit, ne lui ai rien offert à manger ou à boire, et me suis contenté de mêler confusément aux siens ses propres songes.

….Comme pour lui, cette question du temps qui fuit continuait d’occuper en moi une pensée sur trois. Je me disais que je ne serais pas toujours là pour m’émouvoir de la secrète réverbération du ciel, du tranquille balancement d’un arbre, du calme rassurant d’un visage ou de la beauté d’une page. P 132