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Décidément ma ville d’adoption me gâte : dans le cadre du festival de cinéma Lumière , une projection salle comble suivi d’un très long débat avec la réalisatrice et la productrice.

Valeria BRUNI TEDESCHI , dessinatrice humoristique , en crise dans son couple homosexuel bourgeois ultra-parisien est hospitalisée aux Urgences suite à une bête fracture de coude, tandis que Pio MARMAI , chauffeur routier,spécialement monté à Paris pour participer à une manifestation de Gilets Jaunes, y est amené pour une très mauvaise plaie de jambe consécutive à des tirs de balles réelles de CRS .

L’hôpital,déjà mis à mal en temps normal,va devoir affronter une nuit de crise gravissime : accueillir ou non les manifestants blessés pris en tenaille entre les forces de l’ordre et les représentants de l’administration hospitalière .

Film grand public, irrésistible par ses accents de vérité et de comédie

Catherine CORSINI s’est servi de sa propre expérience d’hospitalisation consécutive à une fracture pour mettre en avant les fractures de notre société comme de notre système hospitalier . Elle a réalisé un casting de 350 soignants pour choisir les différents soignants du service : il lui était vite apparu qu’aucun acteur professionnel ne saurait imiter leurs gestes dans leur précision et leur exactitude .

Si Valeria Bruni Tedeschi et Pio Marmai soutiennent l’armature dramatique du film, le spectateur retiendra tout autant KIM, l’infirmière , à la fois roc et pilier du service ,monument de bonté imputrescible , africaine en majesté : Aïssatou DIALLO SAGNA , aide-soignante dans la vraie vie .

Au fil de la nuit

Valeria Bruni Tedeschi et Pio Marmaï ont réussi à s’apprivoiser et à s’écouter . Notre héros cherche à expliquer pourquoi il était si important pour lui de monter à Paris : ni provocateur, ni casseur, il pensait réellement pouvoir discuter d’homme à homme, dans la cour de l’Elysée,avec le Président Macron .

Réminiscence des luttes syndicales où les ouvriers exprimaient leurs revendications au patron ?

Résurgence de la justice rendue par Saint-Louis sous un chêne ?

Valeria Bruni-Tedeschi lui suggère de  » Passer par en dessous  » .

 » Par en dessous ?  »

 » Ben oui, par les égoûts  »

Difficile de ne pas penser à Jean Valjean et à Victor Hugo .

Toute la force du film réside dans ce  » Comment se faire entendre ?  »

Quand tout va à vau l’eau , au vu et au su de tous .

Comment s’y prendre ? Les soignants – qui ne font grève que lorsqu’ils y sont acculés – ont échoué dans leurs revendications depuis des années . L’alliance des soignants avec les Gilets Jaunes reste lettre morte .

Le délabrement du système hospitalier ne date pas d’aujourd’hui :

Il est étrange que le monde si particulier du soin, à mesure que sa technicité s’accroît, que son domaine de compétence s’élargit ….sombre peu à peu dans une sorte d’état dépressif généralisé, en arguant du manque désormais chronique de ressources financières pour répondre de façon satisfaisante à la demande de soins . Les scanners sont  » antédiluviens « , les pets scans, brillent par leur absence , les peintures s’écaillent, les soignants sont trop peu nombreux pour accueillir les urgences ou prendre soin du grand âge . Bref, tout va mal !

Pr D. SICARD . Chef du service de médecine interne de l’hôpital Cochin, Président du Comité consultatif national d’Ethique in  » La Ferme du Vinatier : 1997 > 2003  » . P 67

En filmant les urgences de nuit , la réalisatrice accentue les stigmates de la dégradation de ce qui devrait être le fleuron de notre système de soins .

( l’hôpital ) devrait être un bon garage où les réparations seraient rapides, assorties d’un certificat de garantie, soumises à une contrainte de temps impitoyable . L’hôpital n’est pas fait pour de doux rêveurs, pas pour  » accueillir toute la misère du monde  » .

Id

Et si Kim , notre infirmière inaltérable, crève l’écran, c’est que sa main est tendue en permanence ; l’exact contraire d’une rationalité économique asphyxiante . Ce huis-clos de l’univers du soin, nous montre sans que nous soyons capables de le nommer, les 2 acteurs contradictoires de l’hôpital: prestataires et décideurs .

L’hôpital est un lieu économique majeur aux objectifs simplement contradictoires entre des prestataires qui veulent toujours plus de moyens financiers et des décideurs qui sont bien décidés justement à n’en donner que le moins possible, sauf si les résultats en terme de rentabilité économique sont prometteurs .

Id p 67

Le parti pris de comédie donne une force inouïe à ce réquisitoire

Contre un système à bout de souffle depuis plus de 30 ans et qui se trompe d’enjeux : la santé doit rendre compte des différentes dépenses qu’elle engendre – comme n’importe quel autre secteur d’activité – mais n’a pas à rendre des comptes .

Je ne souhaite pas conclure sur la cascade d’éléments de déclin supplémentaires survenus ces derniers mois ( suppression de 5000 lits en région Ile de France, fermeture d’un service au CHU de Grenoble, primes promises au personnel hospitalier lors de la pandémie toujours non versées, ….) mais plutôt sur la place de l’hôpital au sein de la cité .

Il y a si peu d’espaces dans la cité contemporaine , plutôt vouée aux spectacles, aux forums, à la performance sportive ou à la solitude télévisuelle, qu’ouverts aux relations vraies entre les personnes . Il y a si peu de vie dans l’hôpital qui ne soit confisquée par le soin, pour que chacun de ces mondes aille à la rencontre l’un de l’autre, et y découvre peut-être alors le besoin réciproque qu’ils peuvent avoir chacun de se retrouver .

Id P 74

Une projection a été organisée à l’intention de 200 soignants, invités par les soignants acteurs dans le film . A nous d’imiter ce bouche à oreille , espérer qu’il fasse boule de neige …. et tombe finalement dans les bonnes oreilles !!!!!