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Je crois avoir lu  » Les linges de la nuit  » dans les années 80. J’avais trouvé extraordinaire qu’une femme, journaliste, grand reporter, ait la lucidité et le courage de reconnaître que ses 20 ans de  » bourlingage  » l’avaient coupé de ses racines et qu’elle était prête, pour refaire connaissance avec son pays, à travailler au plus bas de la hiérarchie hospitalière, comme agent hospitalier quelques mois dans un hôpital parisien.

J’avais aussi découvert que nous avions une connaissance commune : Wilfred Burchett *, avec qui elle avait parcouru les maquis  » vietcongs « . Il avait une villa à Phnom-Penh dont le jardin hébergeait un ours tropical brun ! Quel prestige pour mes yeux d’adolescente !

« Huit siècles d’histoire hospitalière dans le Rhône et à Lyon »

En même temps que je relis  » Les linges de la nuit  » je parcours la très riche exposition aux Archives départementales et métropolitaines de Lyon, qui va du premier hôpital lyonnais en 545 à celle des soins contemporains.

Certains cartons évoquent les salles communes qui seront le quotidien de Madeleine RIFFAUD pendant l’été1974.

« Chaque soir, je tenais mon journal ….

… depuis la mort de ma mère, je me sentais en dette envers les infirmières, les aides-soignantes, envers ces  » femmes de ménage en blanc « , les agents hospitaliers hier encore nommées  » filles de salle « , surexploitées, sous-payées,plus près peut-être des malades que quiconque. Silencieuses.

P 8

 » Quand j’ai vu au petit matin cette étendue de carrelage :

une salle commune de 24 lits, plus 2 chambrées de 6 malades chacune, une chambre d’isolement, les paliers, les couloirs, les WC, les vestiaires, l’office, le bureau de l’infirmière….

Lits de fer trop rapprochés, forêt fragile des perfusions, bocaux à urine, lourds chariots du siècle dernier tanguant toujours au milieu du chemin  » . P 13

Le bassin

Quand elle appelle pour que l’on vide son bassin, cette malade n’oublie jamais malgré sa fatigue ( elle est la seule à agir ainsi ) de recouvrir le récipient d’un vieux journal. Une attention de quelqu’un qui a dû, combien de fois, vider dans les WC les excréments des autres. P 100

Les manies de chacun

 » Siméon est très fort, très doux. Il est le seul à soulever cette femme sans lui faire mal. Il se souvient des manies de chacun :combien d’oreillers, comment placer les arceaux sous le drap. Il n’en faut pas plus, ici, pour provoquer une confidence. P 30″Siméon est très fort, très doux. Il est le seul à soulever cette femme sans lui faire mal. Il se souvient des manies de chacun :combien d’oreillers, comment placer les arceaux sous le drap. Il n’en faut pas plus, ici, pour provoquer une confidence 3 « . P 30

Ophélie

C’est le prénom, modifié bien sûr, d’une patiente, sans famille, déportée par les Allemands, qui perturbe tous les autres malades car elle souffre d’une maladie psychiatrique.

 » Elle voit un tueur de la Gestapo dans chaque cave,dans les sous-sols de l’hôpital et que sa tête est lardée de barbelés « . …

Elle sera transférée en établissement spécialisé après un bilan artériographique dans le service.

D’où vient cette femme ? Quel métier a-t-elle exercé ? Où a-t-elle trouvé l’occasion de dévorer ces textes qu’elle nous restitue dans ses crises …?

  • Où travailliez-vous, madame, avant d’entrer à l’hôpital ? ..
  • Je ne sais plus. Je suis malade depuis l’éternité. J’aurais voulu être chanteuse ou jouer d’un instrument ..P 125

 » Ophélie est couchée, cette nuit, dans la salle commune de l’hôpital psychiatrique de X…alors qu’elle aurait besoin de soins particuliers.

L’interne est accablée….Debout dans l’escalier, l’interne et moi mesurons, tête basse, les limites de la bonne action individuelle, l’état des Services de Santé en France étant ce qu’il est.

L’oiseau

Siméon est entré dans notre office, tenant l’oiseau enfermé dans la cage de ses doigts joints. Il est tout petit et a dû tomber d’un nid tardif.

… Il réclame. Il ne sait pas encore manger seul…J’ai l’idée d’essayer de le faire boire avec un compte-goutte…ça marche. Brigitte exulte. Siméon bat des mains.

Les salles communes ont disparu en 1980

L’équipement technique a totalement remodelé le paysage intra-hospitalier en 40 ans.

L’environnement extra-hospitalier également : S.A.M.U , ré-organisation de la permanence des soins avec une contribution importante des services des pompiers …

Mais l’épuisement et les frustrations du personnel eux, n’ont pas changé !

Hélène a ce cri du coeur : notre métier pourrait être merveilleux. J’aimerais gagner plus, c’est vrai. Mais ce que je demande en premier : que nous soyons plus nombreuses. Donner les soins, mais avoir aussi du temps pour être plus près des malades, pour leur parler. On fait de nous des machines. P 121